“Ce qu’il faut retenir du jeu de rôle, c’est bel et bien cette notion de liberté.”
Dossier
PUBLIÉ LE 17 avr. 2023

“Ce qu’il faut retenir du jeu de rôle,
c’est bel et bien cette notion de liberté.”

Crédit : Entertainment One
Selim K.
Selim K.
Auteur Micromania-Zing
PUBLIÉ LE 17 avr. 2023

À l’occasion de la sortie du film Donjons et Dragons dans les salles, nous avons reçu Julien Silvestre, membre de la Rôlisterie, pour s’immerger le temps d’une entrevue dans l’univers du jeu de rôle, et démonter quelques stéréotypes. Entretien.

Ton histoire avec le jeu de rôle, elle a débuté quand et comment ?

Je suis tombé dedans lorsque j’étais au collège, je me suis trouvé un petit groupe de potes qui jouait déjà et qui m’a initié. Je suis devenu accro. À l'époque c’était vraiment une découverte de fou parce qu’en termes d’imagination c’est vraiment tout ce que je cherchais dans le jeu vidéo. Avoir cette liberté, avec des scénarios qui partent dans tous les sens, pouvoir faire tout ce que tu veux avec tes personnages, ça m’a rendu complètement dingue. Et puis voilà, à 32 ans je joue toujours avec les mêmes potes (rire) ! Donc ouais, je suis bien mordu quoi.

Vous avez commencé avec quel jeu ?

Grand classique : du Donjons et Dragons. Après on a beaucoup diversifié, on n’en fait quasiment plus aujourd’hui.

Incarner son personnage, c’est quelque chose d’obligatoire ?

Il n’y a aucune obligation. Il ne faut pas que ça limite certains joueurs. Par exemple, ma femme, qui a eu envie d’essayer les jeux de rôles, c’était vraiment une barrière. Elle me disait “si je dois vraiment jouer, faire de l’acting, incarner un elfe ou un truc je ne saurais pas le faire et je serai mal à l’aise”. Mais non, tu n’es pas obligé de le faire. Tu peux très bien jouer en étant très terre à terre, premier degré, sans proposer le moindre acting autour de la table. Après, je pense que rentrer dans le personnage et essayer de s’en imprégner, c’est entrer pleinement dans le jeu. Quand on est un peu trop premier degré on passe à côté d’un certain intérêt du jeu de rôle qui touche à la libération de la créativité, de l’expression. Des choses hyper importantes pour moi aujourd’hui. Mais, encore une fois, il ne faut pas que ça effraie les gens. Il n’y a pas besoin d’être un super acteur pour kiffer sa partie. Ce n’est pas vrai.

Toi, personnellement, t’es quel type de joueur ? Plutôt théâtral ou réservé ?

Quand j’ai commencé j’étais plutôt dans le try hard, j’essayais de monter le meilleur personnage possible, je n’étais pas vraiment dans le role play. Je voulais simplement un perso qui défonce tout. Et c’est plus tard, à force de faire des parties, en grandissant et en trouvant d’autres intérêts à ces jeux, comme laisser libre cours à mon imagination, que je suis parti sur des persos que j'incarne plus, où j’essaye vraiment d’entrer dans le délire du personnage. Me dire que sur certaines actions, il y a vraiment un choix évident à faire pour l’apport que ça me donne sur le reste de la partie, mais vue comme j’ai construit mon personnage et comme je l’imagine, et bien non. Je préfère faire une connerie que je vais potentiellement regretter plus tard mais au moins je reste dans le perso (rires) !

N’importe qui peut être MJ ?

Ouais, clairement. On se pose souvent des barrières limitantes. Surtout quand on a déjà eu une expérience avec un MJ génial. On se dit que c’est impossible, mais pour avoir tester quelques parties à la masterisation avec mes potes sur des scénarios assez simples, c’est même plutôt prenant en fait. En réalité, tout le monde peut se lancer et est en capacité d’animer une partie.

En termes de gameplay, est-ce que tous les jeux de rôle se jouent à l’aide de dés ?

C’est vrai qu’une grande partie des jeux de rôle inclut beaucoup de dés. Donjons et Dragons, par exemple, c’est des lancers de dés à gogo. Parfois c’est même un petit peu relou à calculer. Mais maintenant il y a de plus en plus de jeux de rôle qui, justement, tournent autour de cartes, de billes, de couleurs, des systèmes un peu différents pour générer une variante aléatoire un peu plus originale. Aujourd'hui il y a même des jeux où l’aspect aléatoire n’existe pas, ce n’est que de la narration. Où on mise plutôt sur des ressources limitées. Il y a suffisamment de choix aujourd’hui pour trouver des jeux qui ne nécessitent pas de jeter des dés à longueur de temps.

Beaucoup de JdR prennent place dans des univers de fantasy, est-ce qu’il y a beaucoup de diversité à ce niveau-là ?

Oui, carrément. En fait, tu peux garder un système de jeu et le traiter sur plein d’univers différents. Par exemple, Call of Cthulhu qui est très connu, n’est carrément pas dans le médiéval fantastique. C’est très horrifique comme univers. On est plutôt sur une période historique très précise. Tu peux trouver des scénarios qui t’envoient dans le réel, les années 80, les Guerres mondiales, etc… Avec la Rôlisterie on a même enregistré un épisode sur les telenovelas (rires) ! C’est hyper déluré comme scénario, on a fait des trucs sur Rambo, enfin bref, tu peux vraiment te faire plaisir et les seules limites sont celles de l’imagination de chacun.

On a forcément envie que tu nous en dises plus à propos de cette histoire de telenovelas…

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Crédit : DR

On a enregistré cette partie que vous pouvez retrouver en podcast parce qu’elle est beaucoup trop drôle (rire)... En fait, on incarnait des personnages de telenovelas, extrêmement exagérés et surjoués. C’est parfait pour du jeu de rôle parce qu’il se passe constamment des trucs vraiment improbables, tu peux imaginer tout et n’importe quoi, il n’y a aucune limite dans ce genre de série. On l’a appelé la “Pasión de las Pasiones” (rire), et du coup c’est très orienté sur l’humour, l’aspect comique. Vraiment aucune prise de tête, que de la rigolade, et ça fonctionne aussi bien. On a passé un super week-end à jouer à ça.

Est-ce qu’un personnage peut être utilisé sur plusieurs parties et peut-il conserver ses expériences passées ?

C’est tout à fait possible, oui. J’ai même un exemple : on avait fait deux parties sur des univers assez semblables, dans lesquelles on avait transféré le personnage d’un des joueurs sur du Donjons et Dragons. On était passé du Royaume Greyhawk aux Royaumes oubliés il me semble, on a juste changé quelques statistiques du personnage pour pas qu’il soit complètement abusé dans le nouveau scénario, mais le joueur en question trouvait que son personnage allait très bien dans ce nouveau scénario, qu’il y avait de la continuité, une suite logique. C’est complètement faisable, il faut juste veiller à conserver un bon équilibre avec les autres joueurs.

C’est possible de créer son propre jeu de rôle de A à Z ?

Oui, c’est carrément faisable. Créer un univers, créer des règles, il n’y a aucune contrainte à ce propos. Après ça demande beaucoup de travail, ne serait-ce que pour le scénario, ensuite il faut adapter les règles à ton jeu, ça demande un travail énorme.

C’est quelque chose que vous avez déjà expérimenté avec la Rôlisterie ?

On n’a pas vraiment créé notre propre jeu, par contre la personne qui se charge de la masterisation chez nous est quelqu’un qui écrit beaucoup, qui a pondu pas mal d’univers. Donc il s’est inspiré et il a utilisé des trames de règles déjà existantes qu’il a ensuite mixé avec son scénario. Donc on n’a rien créé de toute pièce, mais ce n’est pas l’objectif.

La rédaction d’un scénario semble être un travail de longue haleine. Tu saurais estimer le temps de travail nécessaire pour être au point ?

Sur des parties qui laissent la place à beaucoup d’improvisation, tu n’es pas obligé d’avoir une scénarisation énorme. Sinon, il y a aussi des jeux qui proposent des scénarios déjà tout fait, donc on parle plus d’adaptation en général. Par contre, si tu veux créer un univers, ce qu’il a fait pour nous, avec Le Caveau des Encyclopes dont on a fait un podcast, il faut travailler dessus constamment en fait. C’est un peu son fil rouge tout au long de l’année. Il travaille tout le temps dessus, ça prend des mois. Il n’a toujours pas fini aujourd’hui, il écrit encore de nouvelles choses pour le prochain scénario. Il ne faut pas partir du principe que tu peux pondre ça en une semaine, ça ne marchera pas.

Et concernant les règles, comment sont-elles définies ? Comment est-ce qu’on arrive à trouver un équilibre ?

Si tu prends l’exemple de base qu’est Donjons et Dragons, tu peux trouver plusieurs livres de règles sur lesquels te baser. Sinon tu as toujours la liberté de t’arranger avec les règles. Tu vois ça avec les joueurs avec qui tu vas partager ta partie, pour en simplifier certaines quand elles sont trop complexes ou trop lourdes. C’est un monde dans lequel rien n’est vraiment inscrit dans le marbre, dans lequel on est assez libre.

C’est possible de tricher dans un jeu de rôle ?

Physiquement, oui je pense. Mais, en réalité, dans un jeu de rôle il n’y a pas tellement d’objectif de victoire. Ce n’est pas comme dans un jeu vidéo ou dans un jeu de plateau où il y a des équipes qui s’affrontent et une victoire au bout. Là on est vraiment sur un scénario qui avance, une histoire qui se raconte, donc il n’y a que très peu d’intérêt à tricher. En creusant vraiment peut-être que, oui, tu peux tricher dans ta fiche de personnage en ajoutant des trucs sans te faire griller par le Maître du Jeu mais bon ça n’a aucun intérêt. Je ne pense pas que ça soit courant dans ce monde.

Avec tout ce que tu nous dis, la liberté semble vraiment au centre du jeu de rôle.

S’il y a vraiment un truc qu’il faut retenir du jeu de rôle, c’est bel et bien cette notion de liberté. C’est ouvert à n’importe qui. Aujourd’hui une série comme Stranger Things a créé une ouverture à beaucoup de nouveaux joueurs et pas seulement des bons geeks à l’ancienne. Et justement ces joueurs-là se rendent compte que, déjà, c’est très simple de jouer. Contrairement à ce qu’on pense il y a plein de formats de jeu qui sont exempts de règles trop compliquées et qui sont tout à fait adaptés à des novices. Et comme c’est un monde assez vaste, t’es vraiment libre de partir sur l’univers que tu veux avec tes potes comme je le disais plus tôt. Si tu veux un scénario plutôt horrifique, libre à toi de le faire, mais aussi quelque chose de plus comique. Il n’est pas obligatoire de rester cantonner à des elfes, des nains et des humains qu’on connaît beaucoup, même trop en fait. C’est bien de changer un peu.

Comment est-ce qu’on peut se trouver un groupe avec lequel jouer pour se lancer?

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Crédit : DR

Aujourd'hui, il existe plein de plateformes intéressantes. Notamment des serveurs Discord, et même des annuaires en ligne. Je pense à ilestouleroliste.com qui est hyper utile. Sinon il y a aussi des associations, comme la Rôlisterie, on est ouvert à ça aussi.

Des jeux en particulier à recommander pour débuter ?

Il y a un système de jeu qui s’appelle PBTA, créé par Meguey Baker et Vincent Baker, qui est ultra simple. Beaucoup plus facile d’accès que Donjons et Dragons, avec toujours un système de dés, mais des versions de jeu très simplifiées qui permettent de faire avancer le scénario beaucoup plus vite et de ne pas se prendre la tête à passer deux heures pour tuer trois gobelins (rire).

Et concernant la Rôlisterie, tu peux nous donner un peu plus de détails ?

On est un groupe qui joue ensemble depuis le collège comme je l’ai dit. Mais on a vraiment créé la Rôlisterie en tant qu’association à but non lucratif pendant le confinement, en 2020. Pour plusieurs raisons : la première, c’est qu’on avait à cœur de rendre accessible le jeu de rôle au plus grand nombre, donc que ça pourrait être une super idée de monter un podcast, d’enregistrer nos parties et de les partager pour éventuellement convertir des gens au jeu de rôle. Chose qui a plutôt bien fonctionné, puisqu’on a eu des super retours de parfaits inconnus qui sont tombés sur nous via nos push sur les réseaux sociaux. Il y a aussi le vice-président de la Rôlisterie qui organise des parties dans des médiathèques, à destination d’enfants qui peuvent s’y essayer dans le cadre d’ateliers périscolaires le mercredi après-midi. Parce qu’on est vraiment persuadé qu’à travers le jeu de rôle, comme dans le théâtre d’improvisation, il y a vraiment quelque chose d’hyper sain à apporter aux gens, dans cette expression, dans la libération de la parole et de l’imaginaire. Voilà à quoi ressemblent les fondations de la Rôlisterie.

Vous avez vu le film Donjons et Dragons ? Qu’est-ce que vous en avez pensé ?

Non, c’est terrible. On veut vraiment le voir tous ensemble mais avec nos emplois du temps de grandes personnes c’est compliqué maintenant (rire) ! Mais c’est bon, on a la date, ça sera pour mercredi prochain ! On pourra se faire notre propre avis, mais on a déjà eu de supers retours de collègues rôlistes.

Des attentes particulières ?

J’espère que ça va contribuer à la démocratisation du jeu de rôle, que cela va mettre en avant ce type de jeu. Qu’on va avoir un film qui permet à absolument tout le monde de s’y identifier. J’espère que cela ne va pas être trop “geek friendly” mais vraiment grand public, le but est d’attirer tout type de personnes vers le jeu de rôle.

Pour finir, où est-ce qu’on peut vous retrouver ?

Sur la plupart des réseaux sociaux, Facebook et Instagram, et sur la plupart des plateformes de podcast, Spotify, pour citer le plus connu, mais aussi YouTube. N’hésitez pas à passer voir ce que ça donne. On essaye d’avoir une couverture la plus large possible sur les scénarios traités. Il y en a pour tous les goûts.

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Crédit : DR