La console qui pouvait détrôner la Game Boy : la Wonderswan
Dossier
PUBLIÉ LE 11 déc. 2020

La console qui pouvait
détrôner la Game Boy :
la Wonderswan

Crédit : Bandai
Etienne C.
Etienne C.
Auteur Micromania-Zing
PUBLIÉ LE 11 déc. 2020

Peu onéreuse, puissante et conçue par Gunpei Yokoi : sur le papier, la WonderSwan de Bandai avait tout pour réussir. Mais tout ne s'est pas passé comme prévu.

Gunpei Yokoi était un inventeur incomparable qui s'est, paradoxalement, rarement engagé dans la course à la technologie. Car il avait une conception bien précise de ce que doit être le jeu vidéo : un objet stimulant l'imagination plutôt qu'une prouesse de réalisme. Résultat : quand Nintendo le charge de développer une console portable dans les années 1980, l'homme se fiche pas mal des dernières avancées techniques. Il voit toujours la vie en monochrome alors que ses concurrents, Atari et Sega en tête, s'évertuent à proposer de la couleur sur leurs machines. « Si vous dessinez deux cercles sur un tableau noir et que vous dites que c'est un bonhomme de neige (…) chacun reconnaîtra instinctivement un bonhomme de neige, expliquait-il dans un entretien déterré par shmuplations. Quand vous lancez un jeu, les couleurs importent peu. Vous êtes attirés, mentalement, dans son univers. » Remis en question en interne, Gunpei Yokoi est contraint d'user de sa position dans la hiérarchie de Nintendo pour imposer sa vision. Pour que sa Game Boy, surnommée « dame game » (« le jeu nul » en japonais) par ses collègues, bénéficie d'un écran en noir et blanc.

Crédit : Nintendo

Et l'histoire lui donne raison : bien aidée par son autonomie, prix abordable et catalogue intemporel, la Game Boy règne sur le marché dans les années 1990 et relègue des projets plus aboutis au second plan. « La Game Boy était déjà techniquement dépassée à sa sortie en 1989, explique Florent Gorges, auteur de « L'histoire de Nintendo » au journal Le Monde. Mais en réalité, c’était au contraire la seule en phase avec son époque. Les autres comme la Game Gear ou la Lynx étaient déconnectées de la réalité. La technologie couleur existait mais n’était pas prête encore, on ne pouvait pas jouer dehors, l’autonomie était très mauvaise. »

Le coup de poker de Bandai

Confronté à de tels chiffres de ventes, un businessman émérite aurait jeté l'éponge et laissé la firme nippone exercer son (quasi) monopole en paix. Mais en 1996, le fabricant de jouets Bandai profite d'un rebondissement inattendu pour entrer dans la danse : la démission de Yokoi. A l'époque, les médias - et principalement le quotidien économique Nikkei qui lui consacre un portrait la veille de sa démission - le soupçonnent d'avoir fait ses valises suite à l'échec du Virtual Boy, sa dernière invention. Un casque rouge étrange qui ne s'écoule qu'à 780 000 exemplaires avant que la production ne soit stoppée. Raté. « Je n'ai pas démissionné pour assumer l'échec du Virtual Boy, précisera-t-il plus tard. Avant cela, j'avais décidé qu'à 55 ans, je voulais devenir indépendant ». Après plus de 30 ans de service et quelques inventions révolutionnaires, le père de la croix directionnelle s'émancipe d'une firme dont il a façonné la philosophie pour fonder Koto Laboratory. Et il est immédiatement démarché par Bandai.

Crédit : Nintendo

L'empire contre-attaque

La finalité de ce surprenant partenariat ? Pondre une alternative compétitive à la Game Boy en calquant les préceptes de Nintendo. C'est-à-dire privilégier l'autonomie, l'accessibilité et la simplicité en misant sur des technologies obsolètes. Yokoi accouche donc de la WonderSwan : une console en noir et blanc, disposant de dix boutons pour jouer à l'horizontale ou à la verticale et de 40h d'autonomie. Le prix de vente : 4800 yens, soit environ 40 euros. Sur le papier, la machine a tout pour réussir, au point d'inquiéter le président de Nintendo, qui contre-attaque en développant la Game Boy Color en catastrophe. Alors qu’une version 32-bits était déjà dans les tuyaux depuis plusieurs mois. « La Game Boy Color a été faite dans l’urgence la plus totale, car en 1997 une console est annoncée, la WonderSwan de Bandai, au Japon, avec un prix très agressif et un processeur un peu plus puissant, explique Florent Gorges. Hiroshi Yamauchi ordonne de lancer dans les six mois une Game Boy avec un écran couleur uniquement pour prendre à contre-pied la WonderSwan. »

Crédit : Wikimedia Commons

La “swan song” d’un géant de l’industrie

La bataille entre ces deux géants du divertissement aurait pu être grandiose, mais le destin en a décidé autrement. Le 4 octobre 1997, Gunpei Yokoi est percuté par une voiture sur la voie rapide de la préfecture d'Ishikawa, au nord-est de Tokyo. Il meurt sur le coup. L'équipe de Koto Laboratory perd, ce jour-là, son leader spirituel et créatif et ne parviendra pas à adapter son produit aux nouvelles exigences des utilisateurs. Car quand la machine est mise en rayon en mars 1999, la Game Boy Color est déjà bien installée. Techniquement en phase avec son époque, rétrocompatible et profitant d'un catalogue fourni (dont le succès planétaire Pokémon), elle enterre définitivement les espoirs de ses poursuivants. Bandai tente de répliquer en dévoilant les versions Color (2000) puis Crystal (2002), mais il est déjà trop tard. Quand la commercialisation s'arrête en 2003, les diverses itérations – qui n'ont jamais exportées en Occident – se sont écoulées à moins de 4 millions d'exemplaires. Mais la WonderSwan, qui accueille essentiellement des remakes ou portages pendant sa courte existence, conserve une place de choix dans l’histoire du jeu vidéo. Car elle représente la dernière tentative de Yokoi de marquer une industrie qu'il avait déjà révolutionnée. Et reste l’une des rares machines capable d’inquiéter Nintendo à son apogée.