Rap et jeu vidéo, deux frères d'une même génération
Dossier
PUBLIÉ LE 10 févr. 2021

Rap et jeu vidéo,
deux frères d'une
même génération

Crédit : EA
Nico Prat
Nico Prat
Expert Micromania-Zing
PUBLIÉ LE 10 févr. 2021

Dans un monde où les deux propositions culturelles les plus riches et populaires sont le rap et le jeu vidéo, ces deux univers devaient se rencontrer. Pour l’argent, et la liberté.

Les deux Arts sont nés en même temps, ou presque : Pong est apparu en 1978, et DJ Kool Herc posa les bases de ce qui deviendra le hip hop l’année suivante. En 1994, sur le titre “Juicy”, Notorious BIG cite la Super Nintendo et Sega Genesis, et un an plus tard, le jeu d’arcade Rap Jam propose des matchs de basketball avec LL Cool J et Queen Latifah sur le terrain. Puis, PaRappa the Rapper voit le jour. Dès lors, les rappeurs ne cesseront d’apparaître, le temps d’une chanson ou d’un caméo, dans quantité de jeux que le temps ne nous permet pas de lister totalement ici. Les rappeurs sont comme vous et nous, ils jouent aux jeux vidéo, et ne se font d’ailleurs pas prier pour s’épancher sur le sujet quand on leur tend le micro. Le site Highsnobiety a publié un article en 2019 recensant les jeux vidéos préférés de nos punchliners actuels, de Vince Staples, adepte de Mortal Kombat, Watch Dogs, Resident Evil VII (pas très original, mais comme il le dit lui-même, il “joue à tout”) à Danny Brown, qui ne jure que par Persona 5 et se rêve en développeur employé par Rockstar Games, sans oublier Post Malone, qui vous a peut-être déjà mis une branlée incognito sur PlayerUnknown's Battlegrounds.

Crédit : Activision

Certains y voient même une source d’apprentissage, comme Tyler The Creator, qui vantait en 2011 dans les colonnes du magazine Spin les mérites de Pro Skater 4, selon lui un excellent manuel pour perfectionner sa pratique de la planche à roulette. En 2018, le journaliste Dylan Green se souvient : “La seule pensée qui me traversait la tête alors que je déballais mon exemplaire de Def Jam: Vendetta était à quel point j'étais excité de regarder DMX éclater Ludacris sur le ring. Dans le menu principal du jeu, les notes de “Smash Sumthin” de Redman ont envahi mes tympans pour la première fois. J'ai adoré la PlayStation 2, et j'ai adoré l'album Malpractice de Red, et pour la première fois, les deux ne faisaient qu'un”. Mais d’autres iront bien au-delà du simple clin d'œil.

Plus que des figures : des créateurs

Wu Tang: Shaolin Style est un jeu vidéo développé édité par Activision. Il s’agit d’un jeu de combat sorti sur PlayStation en 1999, mais aussi, malgré ses très nombreux défauts, d’un moment charnière. Le jeu met en avant des personnages basés sur le mythique groupe, et les arts martiaux présents dans leur musique. Certains membres ont également fourni leur voix et apporté des contributions vocales et de production à la musique du jeu. Désormais, les rappeurs ne se contentent pas d’être spectateurs (ou joueurs), ils peuvent être créateurs, en plus de valeur marchande. Les artistes, s’ils sont heureux de voir régulièrement leur catalogue utilisé en bande originale, ont également, souvent, voix au chapitre, et utilisent le jeu vidéo comme un nouveau terrain d’expression de leur créativité, créant par exemple leur propre programmation radio dans GTA, comme Flying Lotus et Frank Ocean dans le cinquième volet, ou prenant la casquette de producteur, comme Jay-Z avec l’édition 2013 de NBA2K. Déjà partiellement propriétaire des Brooklyn Hornets, Shawn Carter de son vrai nom trouvait là, selon Jason Argent, vice-président du marketing chez 2K Sports, “un nouveau challenge. Il était obsédé par l'authenticité et il voulait vraiment rendre l'expérience meilleure”, bien au-delà, semble-t-il, du simple effet d’annonce. 50 Cent poussa lui un peu plus loin le délire mégalo avec 50 Cent: Bulletproof, jeu vidéo d'action par Genuine Games, dans lequel le joueur doit tout simplement se venger et tuer plein de gens, dans la peau du rappeur ici devenu surhomme.

Crédit : ENVY

Financièrement, la réunion des deux univers peut donc s'avérer rentable, tant en termes de finances que de popularité. Ce qu’a bien compris T.I, rappeur mais aussi fondateur de Tech Cypha en 2019, avec pour ambition de développer des startups prometteuses, et qui jeta son dévolu sur Culture Genesis, petit studio de digital gaming spécialisé dans les contenus urbains. EA Sports, de son côté, au travers de sa filiale BIG, développe ses simili Rap Jam avec des versions décalées de leurs licences NFL et NBA. Quant à Soulja Boy, lui n’y va pas par quatre chemins : il propose à la vente des consoles de jeux pirates, portables ou de salon, embarquant entre 800 et 3 000 jeux pré-installés. Des titres PlayStation, Neo Geo, Game Boy et même PC, dont la légalité reste encore à prouver. Mais ça marche ! Et DeAndre Cortez Way de son vrai nom d’annoncer l’arrivée prochaine de sa propre équipe d’esport, affirmant que le streamer Ninja, star de la scène Fortnite, pourrait en être. Ha, l’esport ! Là encore, les stars ont flairé le filon. Post Malone, qui apparaît régulièrement sur Twitch, a investi dans Envy Gaming, faisant de lui l’un des propriétaires de plusieurs équipes, comme Team Envy, ou les Dallas Fuel de l’Overwatch League. Drake, qui s’est essayé à Fortnite face à Ninja justement, a lui mis de sa poche pour devenir un généreux contributeur de Players Lounge, plateforme sur laquelle les joueurs s’affrontent pour de l’argent. Sans oublier son acquisition remarquée de 100 Thieves, marque lifestyle mais aussi “gaming organisation” bien connue des fans de Valorant et Counter Strike: Global Offensive.

Reste que tout n’est pas toujours aussi simple, et que même le plus puissant rappeur de tous, le boss de fin Kanye West lui-même, s’est à plusieurs reprises heurté aux affres de la création vidéoludique. Après avoir rencontré Reggie Fils-Aime et Shigeru Miyamoto dans l’espoir de collaborer avec Nintendo (sans succès, et sans que l’on connaisse la teneur de la conversation), il a annoncé en 2014 vouloir apporter sa pierre à l’édifice, et s’est officiellement lancé en 2015 dans la création d’un jeu pour iPhone, Only One, dans lequel sa maman Donda West, décédée (dans le jeu mais aussi dans la vraie vie), devait passer les portes du paradis. Un trailer a même été dévoilé en 2016. Le jeu n’est à ce jour jamais paru, et Encyclopedia Pictura, le développeur, a affirmé récemment que non, ils n’étaient plus impliqués. Mais avec Kanye West, qui sait ? Only One pourrait bien sortir demain par surprise.