Jeu vidéo, fais-moi peur !
Dossier
PUBLIÉ LE 14 oct. 2022

Jeu vidéo,
fais-moi peur !

Crédit : Capcom
Nico Prat
Nico Prat
Expert Micromania-Zing
PUBLIÉ LE 14 oct. 2022

Nous pensons avoir tout vu. Aliens, démons, zombies… Qu’ils se dressent devant nous, conquérants, ou surgissent sans prévenir, cela fait bien des années, des décennies même, que nous savons à quoi nous attendre : une maison vide cache forcément des secrets, et au bout d’un couloir exigu, une menace rôde forcément. Pourtant, nous continuons d’avoir peur en jouant. Souvent. Alors, cette peur, comment naît-elle, comment fonctionne-t-elle ? Existe-t-il des règles ?

La réponse, tout du moins la bonne, comme toujours, nous vient de la science, et plus précisément de l’Indiana University Media School. Dans une étude publiée en 2015 dans le Journal of Broadcasting and Electronic Media, et réalisée sur 269 étudiants et étudiantes, une première vérité émerge : les ténèbres, les humains défigurés, les zombies, étaient les facteurs les plus fréquemment mentionnés, tandis que les catastrophes naturelles, les animaux fantastiques et même les vampires étaient parmi les moins cités. Comprendre : ce qui nous effraye est avant tout ce qui nous semble proche de nous. La peur du noir, nous l’avons toutes et tous expérimenté un jour. Quant aux zombies, le cinéma d’horreur ainsi que le jeu vidéo font appel au «retour du refoulé», une expression inventée par Sigmund Freud pour désigner le retour à la conscience de pensées réprimées. Le zombie nous dérange parce qu’il évoque notre finalité à tous, soit la mort, mais aussi la vieillesse.

La peur dans le jeu vidéo naît donc avant tout d’une forme de proximité avec l’ennemi, d’une façon ou d’une autre. Un jump scare (principe qui recourt à un changement brutal intégré dans une image, une vidéo ou une application pour effrayer brutalement le spectateur ou utilisateur, selon la définition officielle) ne fonctionne que si le danger surgit proche de nous, déstabilisant un temps le personnage et donc le joueur, mettant à mal nos réflexes. Mais dans leur étude, les professeures Nicole Martins et Teresa Lynch vont plus loin. Les jeux à la première personne étaient ainsi, selon les participant(e)s, bien plus effrayants que ceux à la troisième personne. Ainsi, les jeux de tir représentaient plus d'un tiers des jeux mentionnés dans l’étude. Une bonne frousse sur Call Of Duty ? Après tout pourquoi pas.

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Crédit : 2K Games

La peur dans le jeu vidéo, au-delà des évidences (des créatures terrifiantes), des petites solutions faciles (vous faire sursauter), doit donc obéir à deux règles majeures : une menace proche de nous (physiquement dans le jeu, ou émotionnellement), et une immersion totale. Mais ce sont là des choix de créateurs, de designers. Subsiste une forme de paradoxe : regarder un film d'horreur nous redonne un peu de contrôle. Nous pouvons vivre un événement terrifiant à travers le film, car nous savons qu'il se terminera. Nous y survivrons. Il en va de même dans le jeu vidéo, avec une nuance cependant : ici, nous sommes dans la peau du personnage, nous le contrôlons, l’histoire avance donc en même temps que nous. Et alors que l’expérience de cinéma horrifique est davantage une expérience commune (on aime flipper en salle, ou avec des amis), l’étude (décidément très complète) révèle une ultime vérité : la grande majorité des participant(e)s à l’étude affirment insister pour jouer seul(e) à des jeux d’horreur. Parce que nous (ou notre héros) pouvons nous en sortir, survivre. Et que cette épreuve, nous devons l’affronter seuls. La peur dans le jeu vidéo est avant tout une peur solitaire, intime.