C’est Mon Choix : l’illusion du choix dans le jeu vidéo
Dossier
PUBLIÉ LE 23 oct. 2023

C’est Mon Choix : l’illusion
du choix dans le jeu vidéo

Crédit : Rockstar Games
PUBLIÉ LE 23 oct. 2023

Le monde est vaste, l’univers est infini, c’est une promesse, nous allons pouvoir, des heures durant, arpenter planètes et visiter galaxies, explorer mondes enfouis et découvrir contrées lointaines. Le rêve de tout gamer, à n’en pas douter, l’ambition également de bien des développeurs. Pourtant, cela n’est qu’une illusion. Le choix ne nous appartient jamais réellement. Et finalement, tel un bon vieux Mario, nous ne pouvons faire qu’une chose, une seule : avancer.

Article rédigé par Nico Prat.

Pour le dire plus clairement, et pardon de vous spoiler la suite de cet article, mais la réalité est que vous n'avez pas le choix. Ou alors, seulement deux. Vous pouvez continuer à jouer ou vous pouvez éteindre votre console de jeu. C'est tout. Un choix qui vous est d’ailleurs suggéré dans Metal Gear Solid 2 : quand le Colonel ordonne, la tentation est grande d’obéir et d’éteindre sa Play. Mais on ne l'éteint pas. On joue. On progresse, on avance.

Vous (n’)avez (pas) le choix

En philosophie, la question de savoir si un individu effectue des choix librement renvoie au problème de l'existence ou non du libre arbitre. Ici réside toute la beauté et la cruauté du jeu vidéo : le choix est une illusion. Un jeu est une pyramide : il peut exister plusieurs entrées, les salles à explorer sont nombreuses, les couloirs pour y accéder forment un labyrinthe, on peut monter, on peut revenir en arrière, mais il n’existe qu’un seul et unique sommet.

L’un des jeux récents représentant au mieux cette illusion se nomme Superhot. Superhot est un jeu vidéo indépendant de tir à la première personne développé par Superhot Team. Le principe est aussi simple que parfaitement génial : si le jeu utilise les mécaniques classiques du FPS, en éliminant des ennemis en se servant d'armes diverses, le cours du temps n'avance que lorsque le joueur effectue une action. Si on ne fait rien, alors il ne se passe rien, et le système de s’apparenter à un jeu de stratégie en temps réel. L’illusion est donc la suivante : selon notre direction, nos mouvements, il nous est possible de planifier nos attaques. La réalité est toute autre : nous ne pouvons en réalité qu’avancer.

Certes, mais certains et certaines n’hésiteront pas à rétorquer l’affirmation suivante : c’est faux, je choisis mon chemin, mes armes, mes tirs, etc… Vrai… Mais faux, encore une fois. On parlera moins ici de choix que de calcul. Exemple concret : vous avez face à vous deux armes. Un petit pistolet avec seulement deux balles, et une mitraillette pleinement chargée. Vous le savez, un assaut se prépare, et vous ne pouvez emporter qu’une seule arme. Choisir le petit pistolet serait stupide, absurde. Vous optez donc, naturellement, pour le gros pétard. Un choix ? Non. Pas réellement. Le but étant d’avancer dans le jeu, le game designer vous offre ici la possibilité d’un calcul. Non d’un choix réel. Tout l’enjeu, et l’intérêt, étant de ne pas répéter, de masquer autant que possible cette réalité, pour que l’illusion persiste.

Le choix est donc bel et bien une illusion. Une fois ce fait accepté, posons nous la question : pourquoi ? Pourquoi, alors que les consoles sont toujours plus puissantes, les jeux toujours plus vastes, cette illusion ne peut devenir réalité ? Deux explications à cela.

Un choix (techniquement) limité

Tout d’abord, c’est trop de boulot. Comme l’explique parfaitement le site Game Developer : “disons que vous avez donné au joueur le choix de sauver soit le personnage A, soit le personnage B. Les deux personnages jouent un grand rôle dans l'histoire globale, sinon le choix n'aurait pas d'impact. Félicitations, vous venez de doubler la quantité de travail à faire : pour chaque chapitre suivant, vous devrez écrire deux séries de dialogues, deux séries de phrases de réaction, etc... Supposons que votre dialogue soit exprimé par des acteurs. Ils ont également le double de travail. Les personnages, bien sûr, sont dessinés et animés par votre équipe artistique”. Trop de boulot, donc, pour un minimum de résultats, puisque seuls les joueurs réellement hardcore désireront tout lire, tout voir, tout vivre.

Mais surtout, plus important encore : le choix n’a pas d’importance. L’illusion, en revanche, oui. L’important n’est pas le mécanisme de la décision, décidé par le game designer, mais le processus qui mène à cette décision, l’acte du joueur donc lui-même, au cœur du jeu. Un ennemi à gauche, un fossé à droite, et face à nous, un mur, avec ce qui s'apparente à une brique branlante, suffisamment pour qu’en se ruant dessus, on se fraie un passage... Tout cela est écrit, dessiné en amont. Mais sur le moment,vous pensez avoir survécu par vous-même. L’illusion, encore une fois. Le jeu vidéo, ce n’est rien d’autre.