Ce jour où les peurs enfantines ont inspiré les développeurs
Dossier
PUBLIÉ LE 2 août 2021

Ce jour où les peurs
enfantines ont inspiré
les développeurs

Crédit : Playdead
Maxime L-G.
Maxime L-G.
Auteur Micromania-Zing
PUBLIÉ LE 2 août 2021

La peur a toujours été exploitée pour nous faire sursauter. Mais ce petit développeur a décidé de l’utiliser pour créer un monde original…

La noirceur a toujours été quelque chose de difficile à accepter pour le grand public. Quand le monde qui nous entoure veut absolument nous voir sourire, difficile d’admettre que les visions qui nous hantent sont plus présentes en nous que ce que la morale souhaite. Il n’y a qu’à voir les mouvements relatifs à la noirceur dans d’autres médias pour s’en rendre compte : l’humour noir n’a jamais cessé de créer des polémiques, le style gothique est resté dans l’inconscient collectif un signe extérieur de mal-être, et la musique associée est imaginée comme la bande son d’une certaine maltraitance. Pourtant, il n’en est souvent rien : l’absence de couleur devient une couleur parmi tant d’autres dès lors qu’elle est utilisée avec une volonté artistique.

Sans palette, plein de couleurs

Arnt Jensen a vécu cet opprobre de très près en tant qu’artiste. Il a pourtant fait ses armes chez IO Interactive, que l’on connaît principalement pour les séries Hitman et Control de nos jours et qui n’est pas le dernier à créer des univers sombres. Cependant, son imaginaire le poussait à aller plus loin encore. Il a conçu au sein de l’entreprise une simple image, dont l’idée était simplement d’en tirer de l’inspiration, mais cette dernière était vue comme trop sombre, trop triste. Un dernier coup dur pour le créateur, que l’expansion AAA d’IO Interactive rebutait par nature. Certains artistes grandissent admirablement bien dans un contexte corporate. D’autres ont besoin d’une liberté totale.

Arnt Jensen a définitivement fait partie des derniers. Son dessin sous le bras, il a choisi de prendre son indépendance et de poursuivre cet univers sombre né de son esprit. Une telle entreprise ne pouvant se faire seul, il fut vite rejoint par Dino Patti avec lequel il a fondé Playdead. Son univers a enfin commencé à prendre forme. Limbo. Voilà le jeu qui découle de cette vision d’une forêt terrifiante, brumeuse et hantée. Le développement de l’œuvre a fini par prendre les traits de toutes les peurs enfantines d’Arnt Jensen : la grande forêt proche de la ferme de ses parents, son arachnophobie, sa solitude… Un contexte on-ne-peut-plus personnel, mais qui a résonné avec de nombreux joueurs.

Crédit : Playdead

Mais avant cela, il aura fallu lutter contre tout ce que les producteurs de ce temps imaginaient. La peur ? Cette émotion est faite pour les jeux d’horreur, pour les simili-slashers qui ont avant tout pour but de nous faire sursauter. Créer un monde ayant pour inspiration la peur ? Dans une toile en noir et blanc, aussi sobre que grotesque ? Avec comme personnage principal un petit garçon effrayé ? Voilà qui a rebuté bien des investisseurs potentiels. Jensen a eu le droit à des tonnes de conseils qu’il n’a jamais entendu : empêcher que le garçon ne meurt, lui dessiner une moustache pour le rendre plus vieux et donc moins choquant.

Développer Limbo fut une aventure de 6 ans. 6 ans pendant lesquels Jensen a continué de parfaire sa vision, a su trouver les bons partenaires et faire les bons choix. Raffiner petit à petit le produit pour offrir ce qu’il a toujours voulu offrir : une œuvre née de la peur enfantine, dans un environnement né d’un cauchemar, qui demande de résoudre des énigmes nées de cette peinture sordide. Limbo n’est pas effrayant ; il est créé par la peur. Une peur universelle qui a su résonner avec les joueurs du monde entier. Et par extension, a su prouver que le jeu vidéo n’était pas condamné à n’être qu’un outil d'exaltation : il peut aussi nous faire revenir à des instincts primaires pour mieux nous en libérer. C’est sur cette idée qu’une nouvelle génération de créateurs est née.