Yoko Taro, l'auteur le plus lunaire du jeu vidéo
Dossier
PUBLIÉ LE 23 avr. 2021

Yoko Taro, l'auteur le plus
lunaire du jeu vidéo

Crédit : Archipel (Toco toco)
Maxime L-G.
Maxime L-G.
Auteur Micromania-Zing
PUBLIÉ LE 23 avr. 2021

Faites place : une gigantesque tête de lune entre sur la scène. Il ne s’agit bien sûr que de Yoko Taro, le game designer fou qui nous fait rêver autant que réfléchir.

Les grandes personnalités du jeu vidéo ont toujours une petite marque de fabrique. Shigeru Miyamoto est un grand enfant devant l’éternel, Shinji Mikami s’en fout de votre avis et vous bloquera en 5 secondes, Hideo Kojima est un réalisateur de cinéma frustré, Suda Goichi vous fera marrer en balançant 14 insultes adolescentes à la minute… Il y a cependant une chose que l’on a perdu en mettant en avant nos créateurs : la notion de mystère. Cette idée que les créateurs de nos jeux préférés étaient des génies rarement visibles, qui nous parlaient à travers leurs jeux vidéo. À l’ère des réseaux sociaux, difficile de conserver cette notion après tout. Il y a cependant un créateur qui a réussi ce défi, et ce en étant… Etrange. Bizarre. Illisible. Ce même lors de ces apparitions en public. Ce personnage haut en couleur, c’est Yoko Taro.

Un brin de philosophie

Résumer la carrière du game designer en lui-même est assez simple. Comme beaucoup dans ce milieu, il ne visait pas nécessairement le jeu vidéo en premier lieu, et était plutôt intéressé par les arts graphiques. Son tout premier job en 1994 fut cependant bien à Namco en tant que designer 3D, puisque les jeux vidéo restent l’un des secteurs qui embauche le plus dans ce cadre. Il a ensuite rejoint un petit studio au funeste destin, Sugar & Rockets Inc, avant de rentrer en 2001 dans l’équipe du développeur qui le fera connaître : Cavia. Et surtout la licence qui l’aura vraiment fait connaître, après quelques projets de commande : Drakengard. Un projet pour lequel il passera directement directeur, la tête habituelle du studio étant occupée sur d’autres projets.

Mais faisons un pas de côté. C’est surtout grâce à cela que l’on a pu découvrir l’univers de Yoko Taro. Et celui-ci est pour le moins… particulier. Outre les changements réguliers de gameplay, plutôt ancrés dans la culture du studio Cavia lui-même, c’est surtout dans l’apparente noirceur de l’univers que Yoko Taro se distingue. L’auteur aime en effet offrir des univers froids, qui au premier coup d’œil pourraient sembler dénués du moindre optimisme, mais qui s’avèrent souvent remplis de joie et de poésie. Et bien sûr, Yoko Taro aime jouer avec l’humanité toute entière, inspiré comme il est de la poésie et de la philosophie à travers le monde, notamment les penseurs des Lumières bien ancrés dans notre culture française.

Crédit : SXSW

Une pincée de traumatisme

Pourquoi cette fascination pour l’apocalypse, la fin du monde ? Cette dualité étrange entre le ténébreux et le lumineux ? Difficile à dire puisque Yoko Taro reste assez mystérieux en interview sur ce qu’il est ou son passé. Ce que l’on peut tirer de son blog, en japonais naturellement, est qu’il a été élevé par sa grand-mère faute de parents trop pris par leurs travails. Et que cette dernière était assez strict sur son éducation, bien que non dénué non plus d’affection. Au vu du goût en philosophie de l’homme, on peut bien vite imaginer d’où vient son profil très studieux.

Et plus qu’un imaginaire morbide, Yoko Taro a surtout un penchant pour le tragicomique. Dans une interview avec 4Gamer, le créateur a partagé une anecdote de sa jeunesse. Un groupe d’amis se baladait sur un toit, et l’un d’entre eux est hélas tombé et en est décédé. Cependant, cette mort tragique a aussi provoqué les rires jaunes de ses camarades puisque de son corps inherte sur les pavés surgissait également… son sexe en pleine érection, imperturbable. Une anecdote surtout partagée pour souligner que même un événement tragique pouvait provoquer de multiples émotions parfois contradictoires, ce que cherche à provoquer Yoko Taro dans son travail.

Crédit : Square Enix

Un masque pour se distancer

Nouvelle ère du jeu vidéo oblige, Yoko Taro est devenu un personnage public. Enfin… Plus ou moins. Le monsieur a décidé d’arborer à chacune de ses présences un gigantesque masque de lune, celui d’Emil, personnage devenu emblématique dans la série NieR. Une grande lune narquoise, dont il est difficile de deviner les intentions, qui inspire autant l’amusement que la peur. Voilà qui est parfait pour représenter le monsieur.

Pourquoi ce choix cependant ? Il suffit de voir son comportement dans la plupart des interviews pour le comprendre : Yoko Taro n’est pas intéressé par le marketing de ses jeux. Loin de là. Et de toute évidence, il est de l’ancienne école et escompte bien continuer de l’être : ses productions parlent pour lui, et il ne souhaite pas ajouter un message supplémentaire à rattacher à celles-ci. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’a pas quelques petites choses à dire… Messages cryptiques, blagues étranges, espiègleries à chaque interview : lors de ses apparitions publiques, Yoko Taro est moins un game designer qu’un personnage de ses jeux rendu réel.

Il a cependant expliqué par deux raisons sa décision de constamment porter un masque lors de ses apparitions publiques. La première, et la plus simple, est qu’il ne se considère pas comme un homme physiquement attrayant. Sa pudeur l’honore. La deuxième raison est qu’il sait que pour certains, connaître intimement le créateur peut nuire à leur envie de plonger dans un jeu. Mais dans les faits… Ces réponses sont si changeantes dans chacune de ses interviews dans la presse mondiale qu’il est quasi impossible d’être véritablement certain de quoi que ce soit le concernant. A part une chose : son imaginaire nous offre des expériences inoubliables que l’on se doit d’a minima tester dans sa vie de joueur.

NieR Replicant sur Micromania