Toshihiro Nagoshi, le créateur lunaire derrière Yakuza
Dossier
PUBLIÉ LE 3 nov. 2020

Toshihiro Nagoshi,
le créateur lunaire
derrière Yakuza

Crédit : SEGA
Maxime L-G.
Maxime L-G.
Auteur Micromania-Zing
PUBLIÉ LE 3 nov. 2020

La saga Yakuza existe depuis plus de 15 ans maintenant. Derrière elle, une figure très importante de l’histoire du jeu vidéo préside : Toshihiro Nagoshi.

Lorsque l’on pense à SEGA, on pense naturellement à la marque qui nous a amené plus d’une révolution dans le jeu vidéo. C’est après tout la seule marque qui a su pleinement concurrencer Mario en créant Sonic, mais aussi celle qui nous a offert l’âge d’or de l’arcade et des expériences complètement folles. Evidemment, derrière cela se cachent bien des acteurs importants. On pense souvent en premier à Yuji Naka, programmeur principal de la série Sonic qui aura permis cette impression de vitesse, ou encore Yu Suzuki connu pour être le créateur de Virtua Fighter et Shenmue. Mais il ne faut pas oublier un autre nom important : Toshihiro Nagoshi.

Yu Suzu... qui ?

Le monsieur est rentré chez SEGA à la fin des années 80. Il sortait tout juste d’école, mais ne se concentrait pas forcément sur les jeux vidéo. Bien au contraire : son diplôme concernait la production cinématographique. Mais c’est ce qui lui a voulu de prendre rapidement une place importante au sein du développeur, et particulièrement du studio AM2 géré par Yu Suzuki. Alors que la 2D disparaissait au profit de la 3D, son expertise des mouvements de caméra lui a permis de prendre de plus en plus d’importance dans le développement et vite devenir un des piliers du game design au sein de l’entreprise.

Son premier jeu vidéo de renom ne fut autre que Virtua Racing, le jeu de course 3D qui a révolutionné l’arcade à l’époque. C’est à partir de Daytona USA qu’il deviendra pleinement réalisateur du jeu, propulsé dans cette position à responsabilité à un âge relativement jeune pour l’industrie. C’est aussi à cette période qu’il commença à se faire remarquer en interview pour sa personnalité franche et directe, et son style inimitable. Lorsque Toshihiro Nagoshi rentre dans une pièce, il est bien impossible de ne pas le remarquer. Cependant, le créateur avait la sensation de n’être qu’une aide pour Yu Suzuki, le designer du terrain qui permettait à son mentor de véritablement s’amuser. Et lorsque Shenmue est rentré en développement au sein d’AM2… Cela ne lui suffisait plus. Il est resté en tant que superviseur et conseiller, mais a demandé le pouvoir de créer son propre studio de développement.

Crédit : SEGA

Pour l’indépendance

C’est ainsi qu’Amusement Vision a été formé sous la tutelle de SEGA dans les années 2000. Et au sein de celui-ci, Toshihiro Nagoshi pouvait enfin s’exprimer en tant que créateur. Son premier titre important ne fut autre que la création de la licence… Monkey Ball. Et oui : le suave artisan du jeu vidéo, connu comme l’homme le plus stylé du monde du développement, est derrière ce jeu très simple où des singes traversent des labyrinthes pour récupérer des bananes. C’est d’ailleurs exactement la philosophie qui l’a poussé à créer ce titre : face à une complexification toujours plus importante des jeux arcade, Nagoshi voulait revenir à des réflexes fondamentaux, une œuvre que n’importe qui pouvait prendre en main facilement. Ce n’est cependant pas le seul titre important qu’Amusement Vision a créé, puisqu’il est aussi derrière un nom cultissime pour les fans de la série : F-Zero GX.

Cependant, à l’ère de la PS2 et de la GameCube, l’arcade commençait à perdre en vitesse, et les développeurs occidentaux à prendre de plus en plus d’importance. Les jeux japonais perdaient en attrait à l’international. Là où de nombreux créateurs ont tenté de séduire les occidentaux, en sacrifiant bien trop souvent ce qui faisait le sel de leurs licences, Toshihiro Nagoshi a eu la réaction inverse. Vous ne voulez plus de jeux japonais ? Je vais absolument tout miser sur le Japon. C’est ainsi que la série Ryu Ga Gotoku, ou Yakuza en Occident, est née. Mais tout ne s’est pas fait aussi facilement. Les premiers pitchs du jeu n’ont pas séduit les pontes de SEGA, qui attendaient quelque chose de différent de la part de Toshihiro Nagoshi. Cependant, un créateur de la trempe du monsieur ne se laisserait jamais faire. Pour convaincre, il a tenté un coup de poker en glissant des images du jeu en développement au sein d’une présentation de SEGA, sans même qu’il n’ait été validé. Le président de SEGA de l’époque, qui venait d’ailleurs de devenir SEGA Sammy Holdings, a été piqué de curiosité et lui a permis de développer Yakuza.

Crédit : SEGA

Pour le Japon

Mais qu’est-ce que Yakuza ? Toshihiro Nagoshi l’exprime en une phrase : un jeu par les japonais pour les japonais. Une histoire mafieuse contemporaine au sein d’une ville fictive largement inspirée de Tokyo. Et au-delà de tout, un drame humain. Cependant, loin de tenter de créer un énième clone de Grand Theft Auto, Nagoshi a réuni autour du projet une équipe très particulière. D’un côté, de nombreux talents de l’ère de l’arcade, qui savent offrir du fun immédiat. De l’autre, de nouveaux talents qui ont à cœur de raconter une histoire. Et de cette mixture est née le gameplay si particulier de la série, qui tend à être une sorte de “jeu ultime” où il est autant possible de suivre une histoire complexe et approfondie que de passer à l’arcade faire une partie de Space Harrier ou chanter un petit karaoké. Le jeu est si 300% japonais qu’il offre aux joueurs occidentaux une espèce de voyage culturel dont on ne ressort jamais inchangé.

C’est avec la série Yakuza que Toshihiro Nagoshi a pu enfin pleinement libérer ses instincts créatifs. Mais de sa propre confession, il a également beaucoup appris du business des jeux vidéo grâce à elle, et notamment sur le rythme de production. Là où les créateurs préféreraient souvent pouvoir terminer leur jeu sur de multiples années, Toshihiro Nagoshi a suivi les conseils d’un membre de son équipe pour faire de Yakuza un rendez-vous annuel immanquable, de sorte que le public n’oublie jamais la licence. Du même temps, il a appris à faire des sacrifices sur le développement, et focaliser ses efforts pour ne pas se perdre en optimisations superflues. C’est ainsi qu’au-delà de Yakuza, il est devenu une des têtes pensantes les plus importantes de SEGA, et siège aujourd’hui en tant que Chief Creative Officer.

Au-delà de tout ce qu’il a apporté au monde du jeu vidéo japonais, et la patte si généreuse qui le caractérise, n’oublions pas l’homme en lui-même. La veste bien cintrée, la coupe impeccablement dessinée, et la langue bien pendue, il n’en reste pas moins l’un des développeurs les plus accessibles de sa génération. Toujours ouvert aux questions, toujours prêts à donner des conseils, Toshihiro Nagoshi est une sorte de tonton ultra cool que l’on rêve tous d’avoir. Mais ne vous laissez jamais berné par ses frasques fantasques : il n’en reste pas moins un grand nom, un mastodonte de l’industrie.

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