Jeu vidéo et cinéma : les liaisons heureuses
Dossier
PUBLIÉ LE 16 avr. 2021

Jeu vidéo et cinéma :
les liaisons heureuses

Crédit : Kojima Productions
Nico Prat
Nico Prat
Expert Micromania-Zing
PUBLIÉ LE 16 avr. 2021

Les relations entre le septième et le dixième art ne sont pas si exécrables qu’on veut bien le penser. Voici quelques raisons d’y croire.

Entendons nous bien : adapter un jeu vidéo sur grand écran est, bien souvent, une opération très rentable, et ce depuis le premier véritable succès commercial du genre, le Street Fighter de Steven E. de Souza sorti en 1994, qui accumula près de 100 millions de dollars (pour un budget de 35 millions). L’année suivante, avec un budget de 18 millions de dollars, le film Mortal Kombat en récolte 122 millions. Bref, le filon semble juteux. Cependant, l’échec critique est presque toujours assuré, et avec ce dernier, celui des studios, incapables malgré toute la bonne volonté du monde de lancer efficacement de nouvelles franchises (Tomb Raider, Prince Of Persia), à l’exception notable de Resident Evil et de ses six films (bientôt sept).

Le jeu vidéo, en fait, ne serait pas une matière suffisamment noble. En mai 2011, le Fonds national pour les arts, une agence culturelle fédérale des États-Unis, a officiellement reconnu les jeux vidéo comme une forme d’art, pouvant donc être financée. Un mois plus tard, le 27 juin 2011, la Cour suprême a statué que les jeux vidéo sont protégés par le premier amendement, comme la littérature. Mais en 2021, l’opinion publique sur la qualification ou non des jeux vidéo en tant qu’art ou même en tant que matériel culturel important reste divisée. Et il en va de même pour les réalisateurs. Uwe Boll, Paul W. S. Anderson, Chris Roberts ne sont pas des gamers, et se plaisent à regarder de haut le matériau d’origine. La toute première adaptation de jeu vidéo en film, Super Mario Bros, prenait d’ailleurs un malin plaisir à tout pervertir, les personnages comme l’univers, dans le but de conférer au long métrage une aura plus noble qu’une vulgaire cartouche. Cependant, tous ne pensent pas ainsi. Ce sont les raisons d’espérer.

Crédit : AP/Wally Fong

Un médium particulier

Commençons par George Lucas et Steven Spielberg. Le premier a fondé LucasArts, maison de The Dig, Star Wars Rogue Squadron II: Rogue Leader, Fate Of Atlantis, The Monkey Island Series, Maniac Mansion… Le second est un gamer avéré, père de Medal Of Honor, publié par Dreamworks Interactive et dont il imagina l’histoire du premier volet. Tous deux en 2013 s'expriment sur le sujet : “Raconter une histoire, c’est un processus très compliqué. Vous dirigez le public. Vous leur montrez des choses. Leur donnez des idées. C'est une construction très compliquée et très soigneusement préparée. Si vous laissez tout le monde entrer et faire ce qu'il veut, ce n'est plus une histoire. C'est simplement un jeu”. Et le réalisateur de Star Wars d’ajouter : “Les deux seront toujours différents”.

Comprendre le médium donc, ses codes, son utilisation, ses règles à respecter et à transgresser. Pas simple tant le fossé à franchir semble immense : selon un rapport annuel publié par la Entertainment Software Association, en 2018, les joueurs âgés de 18 ans ou plus représentent 70% de la population des joueurs de jeux vidéo, tandis que le joueur moyen a environ 34 ans. Maintenant, jetez un œil à cette liste des producteurs hollywoodiens les plus riches. La plupart d'entre eux sont soit des baby-boomers. Et George Lucas et Spielberg de faire dès lors figure d’exceptions, et non de règle. Pas étonnant qu’en 2017 encore le Hollywood Reporter titrait : Pourquoi les jeux vidéo ne sont-ils pas aussi respectés que les films ?

Crédit : Sony

Pourtant, nous le disions, des raisons d’espérer existent. D’une part, la frontière est plus que jamais poreuse entre cinéma et jeux vidéo : Last Of Us, Uncharted, Spec Ops: The Line prennent autant chez l’un que chez l’autre. De plus, des artistes comme Hideo Kojima, Guillermo Del Toro n’hésitent plus à franchir le rubicon, travaillant main dans la main sur un potentiel Silent Hill ou sur Death Stranding. Enfin, et c’est peut-être le plus important : les talents des deux bords s’écoutent et se comprennent (les studios par le passé n’hésitaient pas à acquérir une “marque” pour finalement en faire ce qu’ils voulaient).

Il existe de nombreux exemples de cet esprit de collaboration dans les productions à venir, telles que la série télévisée HBO The Last of Us qui a amené Neil Druckmann de Naughty Dog en tant qu'écrivain et collaborateur. Simon Pulman, avocat spécialisé dans les franchises, interrogé par Gamespot, affirme ceci : "Il y a une nouvelle génération de cadres qui jouent à des jeux et comprennent les jeux. Et par conséquent, ils comprennent la valeur de la propriété intellectuelle. Ils comprennent la valeur de la communauté et des joueurs, et ils sont respectueux envers le matériel source. Je ne pense pas avoir conclu un accord de jeu au cours des trois dernières années. où l'éditeur du jeu ou le développeur du jeu n'a pas été impliqué dans une certaine mesure, et cela a été un grand changement”. Qu’on se le dise : l’avenir s’annonce radieux, malgré Monster Hunter avec, encore elle, Milla Jovovich.